Le Coran, tu t'abreuveras !

captcha 

Nombre de visiteurs

2816307
Today
Yesterday
This Week
Last Week
This Month
Last Month
205
452
2704
2671711
9177
10400

 
Partager

 


Deuxième partie

 

LE CORAN SOUS SES TROIS ASPECTS,

 

RELIGIEUX, MORAL ET LITTERAIRE

 

Deuxième chapitre

 

LE BIEN OU ÉLÉMENT MORAL

 

Mais l'âme humaine ne se nourrit pas uniquement de vérités théoriques.

Outre son besoin de savoir et de croire, l'homme exige une règle pratique propre à diriger son activité de chaque instant, aussi bien dans son comportement personnel que dans ses rapports avec les autres ou avec Dieu.À ce besoin, la révélation coranique a répondu d'une manière large et précise. Elle a tracé pour chaque branche de l'activité humaine une voie à suivre.II ne suffit pas, pour être un vrai croyant, d'avoir une foi inébranlable dans les vérités révélées ; il faut encore se mettre au service de cette foi ; (49,15). U faut accomplir son devoir de croyant et de citoyen : adorer Dieu . et faire le bien (8,2-3 ; 22,77). La religion est dogme et loi, croyance et obéissance (2,285). Croire aux vérités supérieures et pratiquer les vertus personnelles et altruistes, voilà la définition coranique du Bien, au sens plein du mot (2,177).
 

 

Le côté pratique a dans le Coran une importance telle qu'il y figure fréquemment et de manière explicite comme une condition nécessaire au salut final et au bonheur éternel. Et quand le Coran n'en fait pas une mention textuelle, il n'est pas malaisé de le sous-entendre à travers le terme « mou 'min » (croyant) selon les définitions qu'on vient de voir. Cette double exigence ne comporte-t-elle pas une certaine hiérarchie entre ses deux éléments ? Que l'acquisition de la foi constitue une condition sine qua non du salut, personne n'en disconvient. En est-il de même de l'observation de la Loi ? Et jusqu'à quel point ? Un péché grave dont on ne se repent pas avant sa mort est-il absolument impardonnable ? Autrement dit, détermine-t-il irrévocablement soit la damnation éternelle (comme le pense la majorité des Mou'tazilites), soit un châtiment temporaire (ainsi que le soutiennent quelques-uns parmi eux) ? Ou bien, au contraire, la foi du pécheur peut-elle rétablir automatiquement les choses grâce à la miséricorde de Dieu ? (Mourdji'ites purs)1, ou bien enfin Dieu se donne-t-il le droit de remettre certains péchés pour certains fidèles dans certaines conditions sans que nous puissions déterminer qui et pourquoi (Ach'arites) ?Cette discussion théologique qui porte sur des aspects secondaires et négatifs du problème (sur le degré, la durée, la certitude du châtiment divin pour tel ou tel péché) met hors de cause non seulement la responsabilité morale et sociale, mais aussi et surtout la valeur positive de l'action vertueuse. Car c'est par le progrès dans la vertu qu'on s'élève dans l'échelle du mérite (6,132 ; 46,19).Nous n'avons pas l'intention d'énumérer ici tous les préceptes2 dont l'ensemble constitue la sagesse pratique du Coran, ce serait sortir du cadre restreint de ce travail. Nous nous contenterons d'indiquer certains côtés par lesquels cet enseignement a pu avoir une certaine emprise sur les esprits, tant par la matière et le contenu de la doctrine que par la façon de la présenter.Et d'abord la méthode.II y a en chacun d'entre nous un moraliste inné. Quelque grandes que soient la défaillance et la corruption dans lesquelles on peut tomber, et sauf les cas exceptionnels d'une erreur de conscience, nous reconnaissons, nous aimons et admirons la vertu en elle-même et chez autrui quand bien même nous n'aurions pas le courage de nous y élever. Le spectacle d'une attitude indigne nous répugne lors même que nous serions parfois tentés de faire la chose que nous reprochons aux autres. Nous haïssons en nous-même nos propres défauts et, si nous ne faisons pas toujours un effort constant pour nous corriger, nous tâchons toujours de nous disculper. Quel est l'homme qui aimerait passer pour menteur, hypocrite, lâche, fraudeur, ivrogne, etc. ? C'est sur ce sentiment universel du juste et de l'injuste, du bon et du mauvais, que le Coran s'appuie le plus souvent dans sa prédication ; et c'est à ce sentiment qu'il se réfère lorsqu'il définit sa doctrine pratique. Voici certaines formules qu'il emploie pour résumer et synthétiser son message moral. Le Prophète, est-il dit, commande aux hommes « ce que les âmes reconnaissent comme juste, et leur interdit ce qui est inavouable. Il autorise ce qui est pur et proscrit ce qui est immonde » (au propre et au figuré) (7,157). Dieu ordonne universellement la justice et la charité, il prescrit en particulier — ce que nous oublions souvent en étalant nos bienfaits en public par ostentation — la libéralité envers les parents. Il interdit tout ce qui est vil, méprisable ou agressif (16,90). « Dieu ne saurait commander quelque chose de vil. Il commande le juste » (7,28-9). « II n'interdit que les choses abjectes, faites en public ou en secret, œuvres des membres ou du cœur, ainsi que tout acte impie et toute violence non justifiée » (7,32). Au lieu de multiplier les citations, il nous suffit de noter que la référence à cette conscience morale universelle, à ce sentiment inné du bien et du mal, se rencontre dans le Coran en plus de quarante-cinq endroits différents3.


Néanmoins, ce sentiment naturel auquel on fait appel n'étant pas toujours assez vif chez tous les hommes pour déterminer leur acceptation de la règle, une méthode complète d'éducation ne saurait s'en satisfaire. Un éducateur, soucieux de l'efficacité de son enseignement doit avoir recours à une autre voie non moins puissante, mais qui soit indépendante de notre seul agrément individuel. Or, parallèlement à notre sens moral et au-dessus de lui, l'homme est doué d'intelligence et de raison. À défaut de ce sentiment vivace du bien et du mal, il reste toujours l'idée du devoir universel et universellement reconnu comme tel. Le meilleur moyen d'éveiller cette idée et de lui faire transcender nos sentiments actuels sera d'invoquer à son appui le témoignage des compétences, à savoir les sages et les saints de tous les temps.
 

 

Voilà pourquoi il est un thème particulièrement cher à la dernière révélation. Il consiste à s'ancrer solidairement aux révélations qui l'ont précédée et à rallumer leur lumière qui avait pâli entre-temps. De même que la science du vrai, nos principaux devoirs sont présentés par le Coran comme ayant déjà été prêches aux anciens. Tous les messagers de Dieu ont tenu la balance de la justice (57,25). Tous ont reçu l'ordre de vivre honnêtement leur vie, d'adorer Dieu et de pratiquer la vertu (23,51-2). La prière et l'aumône ont été instituées par Abraham, Jacob (21,73), Ismaël (19,55), Moïse (20,14), Jésus (19,31) ; le jeûne a été également prescrit aux peuples précédents (2,183) ; le pèlerinage a été établi par Abraham (22,27). Toutes les nations ont eu leurs rites sacrés (2,34,67). Le matérialisme, l'amour excessif du monde, l'agression et la corruption sont condamnés par Houd et Sâleh (26,128,152). Loth s'élève contre la débauche de son peuple (26,181-3). En éduquant son fils le sage Loqmâne lui conseille vivement d'exhorter les autres au bien, de les empêcher de faire le mal, et d'endurer les maux qu'il pourrait subir dans cette noble tâche. Il lui commande la douceur et la modestie (31,17-9), etc.Ce n'est par une coïncidence fortuite que Mohammad enseigne la même loi que ses prédécesseurs. Le Coran dit en propres termes à l'adresse des musulmans : « Dieu veut vous instruire en vous montrant le chemin de ceux qui vous ont précédés » (4,26) ; et à l'adresse du Prophète lui-même, après avoir énuméré les messagers divins, ses prédécesseurs : « Ce sont là les hommes que Dieu a dirigés. Suis donc leur direction » (6,90). De fait, nous ne trouvons pas un précepte moral rapporté par le Coran comme ayant été enseigné par les Prophètes et les Sages et qui ne soit pas repris par lui comme un devoir pour la communauté musulmane.

 

Voudrait-on jeter un regard sur les Lois morales de Moïse et sur celles de Jésus telles qu'elles sont rapportées par la Sainte Bible ? Toute nuance de style gardée, on les trouvera précieusement conservées par le Coran. Non pas, certes, données en bloc comme elles l'étaient dans le Décalogue ou dans le Sermon sur la Montagne, mais réparties en divers chapitres mecquois et médinois, et, la plupart du temps, énoncées chacune comme une sentence destinée à juger une situation donnée.Hormis le sabbat, que le Coran considère comme un devoir local et conditionné, voici la confirmation des Dix Commandements du Décalogue par le Coran :

 

Le Pentateuque


Le Coran (entre autres passages)

Tu n'auras point d'autres dieux

"Ton Seigneur a ordonné de n 'adorer que Lui seul" 17,23

Tu ne te prosterneras point devant les images taillées

"Fuyez la souillure des idoles"  22,30

Tu ne prendras point le nom de l'Éternel en vain

"N'abusez pas du nom de Dieu dans vos serments"  2,224

Honore ton père et ta mère

"Ton Seigneur vous a prescrit la bonté envers vos père et mère"  17,23

Tu ne tueras point

"Ne donnez pas la mort" 4,29

"Ne mettez pas fin à la vie que Dieu a sanctifiée'' 6,151

Tu ne commettras point l'adultère

"Dis aux croyants de préserver leur sexe des rapports interdits " 24,30-1 "Tenez-vous éloignés du péché de le chair ; c'est une turpitude et une voie périlleuse" 17,32

Tu ne déroberas point

"Le voleur et la voleuse auront la main tranchée'' 5,38

"Lorsqu'elles viendront prêter serment de ne plus voler... reçois leur allégeance" 60,12

Tu ne porteras point de faux témoignages

"Fuyez tout propos mensonger" 22,30

Tu ne convoiteras aucune chose qui appartienne à ton prochain

"Ne convoitez pas ce que certains, plus favorisés, ont reçu de Dieu " 4,32

 


Ce sont là les assises de la Loi morale dont Jésus dira que celui qui en supprimera le plus petit commandement sera appelé le plus petit dans le royaume des cieux, et celui qui les observera et qui enseignera aux autres à les observer, celui-là sera appelé grand dans le royaume des cieux.
 

 

Mais ce serait sous-estimer l'œuvre de Moïse que de la réduire à ces devoirs élémentaires. En poussant notre recherche dans la Torah, nous y trouvons, quoique disséminés (Exode 22-3 ; Lévitique 19-25 ; Deutéronome 6) d'autres commandements qui regardent aussi bien l'acte du cœur que l'action extérieure, et qui annoncent déjà les préceptes évangéliques.

 

Le Pentateuque

Le Coran (entre autres passages)

Tu ne répandras point de faux bruits ni de calomnies

"Certains d'entre vous ont propagé un mensonge... Dieu vous ordonne de ne plus retomber dans de telles infamies, si vous êtes de vrais croyants... Ne suivez pas la trace de Satan car quiconque le suit, Satan l'entraîne dans le mal et la turpitude " 24,11-19 "Croyants, ne vous laissez pas aller au soupçon car certains soupçons sont de véritables péchés. Ne vous épiez pas ; ne médisez pas les uns des autres. L'un d'entre vous aimerait-il manger la chair de son frère mort ?... Il en est ainsi de qui médit de son prochain " 49,12

Tu ne te joindras point aux méchants pour faire le mal

"Aidez-vous à faire le bien et non à commettre le mal et à perpétuer l'iniquité" 5,2

Tu ne favoriseras point le pauvre dans un procès

"Croyants, soyez d'une intégrité absolue quand vous témoignez, dussiez-vous témoigner contre vous-même, vos parents ou vos proches, qu 'ils soient riches ou pauvres. Ne vous aidez pas à faire le mal " 4,135

Tu traiteras l'étranger comme l'un d'entre vous

"Traitez avec bonté vos père et mère, vos proches, les orphelins, les pauvres, vos voisins immédiats ou éloignés. Vos compagnons et les voyageurs sans abri" 4,36

Tu soutiendras le pauvre, frère ou étranger, qui te tend la main

"Ceux qui, sur leur richesse prélèvent une part légitime qu'ils destinent au mendiant et au pauvre démunis " 70,24-5

Tu n'opprimeras point l'étranger

"Traitez avec bonté le voyageur sans abri " 4,36

Tu n'affligeras ni la veuve ni l'orphelin

"Dieu vous commande de vous comporter honnêtement avec les orphelins" 4,127

"Ne rudoyez pas le mendiant'93,9

Tu ne prononceras point de sentence inique

"Dieu vous prescrit de juger en toute équité si vous êtes appelés à juger"' 4,58

Vous n'userez ni de mensonge ni de tromperie

"Fuyez tout propos mensonger" 22,30

"Tel prend Dieu à témoin de ses bons sentiments, alors qu'en vérité il est un ennemi avéré de Dieu"' 2,204

"Dieu n 'aime ni les traîtres ni les criminels. Ils s'ingénient à se cacher des hommes, mais ils ne sauraient se cacher de Dieu " 4,107-8

Tu ne te vengeras point

"Ceux qui savent dominer leur ressentiment et pardonner à leur prochain... " 3,134

Vous ne commettrez point d'injustice dans les mesures

"Malheur à ceux qui faussent le poids ou la mesure. Ceux qui, lorsqu'ils achètent exigent bon poids, bonne mesure et qui, venant à mesurer ou à peser n 'hésitent pas à tricher pour tromper" 83,1-3

Tu ne garderas aucune rancune contre les enfants de ton peuple

"Seigneur n 'éveille en nous aucun ressentiment" 59,10

Soyez saints

"Soyez des initiés de Dieu " 3,79

"Ceux qui recherchent la pureté sont toujours les aimés de Dieu " 9,108

Tu aimeras ton prochain comme toi-même

"Ceux qui accueillent auprès d'eux les demandeurs d'asile, qui n'éprouvent pas d'envie... et n'hésitent pas à se priver en leur faveur fussent-ils eux-mêmes dans le besoin, ceux-là seront les bienheureux'59,9

Tu aimeras ton Dieu de tout ton cœur

"Il est des hommes qui associent au Seigneur d'autres divinités. Mais les vrais croyants aiment Dieu seul et par-dessus tout" 2,165

 

Un verbe à la fois plus élevé et plus profond se fera entendre dans le Sermon sur la Montagne, qui est un trésor moral d'une valeur inestimable. Or, là encore, le Coran s'acquitte merveilleusement de sa première mission, celle d'être le gardien de tous les Livres sacrés : « Le Livre, message de vérité t'est révélé par Nous. Il confirme les Écritures antérieures en les parachevant » (5,48). Seulement, toujours fidèle à sa méthode favorite, au lieu d'accumuler tous les conseils en une fois, il préfère donner chaque leçon à propos. Suivons donc pas à pas cette prédication évangélique et voyons comment les principes en sont confirmés dans le Livre de l'islam.

 

L'Évangile

Le Coran (entre autres passages)

Heureux les pauvres esprit car le royaume cieux est à eux

"La vie d'ici-bas est pleine d'attraits aux yeux des des incrédules qui tournent les croyants en dérision. Mais ceux qui craignent Dieu seront placés bien plus haut le jour du Jugement dernier'' 2,212

"L'attrait des agréments divers fascine les hommes. Les plaisirs que leur procurent les femmes, leur progéniture, les quintaux d'or et d'argent amoncelés, les chevaux de race, les troupeaux et les terres fertiles. Ce ne sont là que des jouissances éphémères du monde d'ici-bas. Mais il n'est de retour pleinement heureux qu'auprès de Dieu" 3,14

Heureux les affligés car ils seront consolés

"Certes, nous vous ferons connaître la peur, la faim, la diminution de vos biens, de vos personnes et de vos récoltes. Mais annonce une fin heureuse à ceux qui savent patienter" 2,155-7

Heureux les débonnaires car ils hériteront la terre

"Hâtez-vous vers le pardon de votre Seigneur et vers des jardins larges comme la terre et les cieux aménagés à l'intention de ceux qui craignent Dieu, qui font l'aumône, qu 'ils soient dans l'aisance ou dans la gêne, qui maîtrisent leur colère et pardonnent aux hommes. Dieu aime ceux qui font des actions bonnes et généreuses" 3,133-4

Heureux ceux qui ont faim et soif de justice car ils seront rassasiés

"Ceux qui font le mal pensent-ils que nous les traiterons durant leur vie et après leur mort à égalité avec ceux qui ont cru et ont fait le bien ?"' 45,21

"Autrefois les impies se gaussaient des croyants. Lorsqu'ils les croisaient, ils échangeaient entre eux des clins d'œil complices. Rentrés chez eux, ils riaient d'eux. Quand ils les voyaient, ils disaient Voilà bien les égarés. Or ce jour-là ce sont les croyants qui riront des mécréants. Du haut de leurs lits somptueux ils verront bien que les mécréants sont rétribués pour leurs méfaits'' 83,29-36

Heureux les miséricordieux car ils obtiendront miséricorde

"Ceux qui ont la foi, qui s'encouragent mutuellement à la. constance et à la charité, ceux-là seront les compagnons de la droite" 90,17-8

Heureux ceux qui ont le cœur pur

"Seigneur... ne me couvre pas de honte au jour de la résurrection, le jour où seuls... ceux qui avanceront vers Toi avec un cœur léger seront agréés'' 26,89

"... et celui qui a craint le Tout-Clément en son mystère et qui est venu à Lui d'un cœur contrit" 50,33

Heureux ceux qui procurent la paix

"Ceux qui auront recommandé la charité et le bien et auront œuvré à la réconciliation des hommes, ceux qui auront agi ainsi par désir de plaire à Dieu, seront largement récompensés dans l'au-delà " 4,114

Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice

"Ne connaissez-vous pas l'exemple de ceux qui vous ont précédés ? Lis jurent à tel point affligés par le malheur et l'adversité que leur prophète et ses adeptes eux-mêmes se demandaient quand viendront le soutien et le secours de Dieu. En vérité, le secours de Dieu est tout proche"  2,214

"Assurément, vous serez durement éprouvés dans vos biens et vos personnes et subirez bien des torts aussi bien de la part de ceux qui ont reçu les Écritures avant vous que de la part des incroyants. Mais soyez patients et persévérez dans la crainte de Dieu et dans la piété, ainsi qu'il sied aux âmes résolues " 3,186

 

Poursuivons notre rapprochement.

 

Combien Jésus a dit vrai quand il s'est déclaré n'être pas venu pour abolir, mais pour accomplir. Et lorsqu'il dit : « Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens ceci... mais moi je vous dis cela... » II entendait par là qu'il continuait l'œuvre d'épuration morale initiée déjà avant lui, mais qui laissait encore de la place au progrès et à la progression vers le meilleur.

 

L'Évangile

Le Coran

Non seulement "Tu ne tueras point", mais "Tu ne te mettras point en colère contre ton frère"

"... ceux qui savent dominer leur ressentiment et pardonner à leur prochain, Dieu aime les âmes généreuses " 3,134

« Ceux qui, malgré le feu de leur colère savent pardonner... » 42,37.

Tu ne lui diras point "Raca ! Insensé !"

"Les croyants sont frères. Rétablissez la paix entre les frères" 49,10

Avant d'offrir ton offrande, va te réconcilier avec ton frère

Que toujours la concorde règne parmi vous " 8,1

Non seulement "Tu ne commettras point l'adultère", mais "Tu ne regarderas point une femme pour la convoiter"

"Dis aux croyants de garder un regard pudique et de se garder des rapports sexuels interdits" 24,30-1

Non seulement "Tu ne parjureras point", mais "Tu ne jureras point"

"N'abusez pas du nom de Dieu dans  vos serments" 2,224

Non seulement "Aime ton prochain", mais "Aimez vos ennemis"

"Vous les aimez alors qu 'ils ne vous aiment pas" 3,119

Faites le bien à ceux qui vous haïssent... Priez pour ceux qui vous persécutent

"Ceux qui savent repousser le mal par le bien, ceux-là hériteront du paradis" 13,22

"Réponds à la mauvaise action par l'action la meilleure et tu verras comment celui de qui une inimitié te séparait est soudain devenu pour toi comme un fervent allié" 41,34

"S'ils se détournent de toi, dis : 'Dieu me suffit. Il n'y a de Dieu que Lui. À Lui je me fie car II est le Maître du Trône majestueux" 9,129

Si vous saluez seulement vos frères, que faites-vous d'extraordinaire ?

"Les serviteurs du Miséricordieux sont ceux qui marchent humblement sur la terre et qui disent 'Paix' en réponse à la fureur des insensés'' 25,63

"Dieu ne vous interdit pas d'être bons et justes envers ceux qui respectent votre religion, ne vous combattent pas et ne vous chassent pas de vos foyers. Soyez généreux et justes envers eux. Dieu aime les justes " 60,8

Donne à celui qui demande

"L'homme vertueux est celui qui... donne une part de ses biens à ses proches, aux pauvres, aux orphelins, aux voyageurs, aux mendiants et aux déshérités'' 2,177

"Les hommes pieux... réservent sur leurs biens une part destinée au mendiant et au déshérité" 51,19

Ne te détourne point de celui qui veut emprunter de toi

"As-tu observé que celui qui nie le Jugement dernier c'est celui-là même qui brime l'orphelin et n 'incite pas à secourir les miséreux ?" 107,7

Ne fais pas le bien pour être vu des hommes

"Malheur à ceux qui négligent leurs prières ou qui ne les font que par ostentation" 107,6

Pardonne aux hommes leurs offenses, ton père céleste te pardonnera

"Que vous fassiez le bien publiquement ou en secret, ou que vous pardonniez une offense, sachez bien que le Seigneur est toujours prêt au pardon. Il détient la toute-puissance'' 4,149


"Qu'ils se montrent cléments et indulgents. N'aimeriez-vous pas, vous-mêmes bénéficier de la clémence de Dieu ?" 24,22

N'amassez pas des trésors sur la terre

"Vous vous appropriez les héritages avec avidité. Vous aimez les richesses de la terre d'un amour sans borne" 89,19-20

Mais amassez-vous des trésors dans le ciel

"Celui qui travaille en vue du Royaume futur, Nous accroîtrons le rendement de ses œuvres. Celui qui s'affaire uniquement en vue des biens d'ici-bas, il en aura sa part, mais il perdra tout au Royaume du ciel" 42,20

Nul ne peut servir deux maîtres

"Dieu vous propose ceci en guise de parabole : Un homme travaille au service de deux maîtres qui se disputent sans cesse ses services, et un autre dépend d'un seul maître. Leur sort serait-il identique ?" 39,29

Ne vous inquiétez pas pour votre vie. Regardez les oiseaux du ciel ; votre Père céleste les nourrit

"Combien d'animaux sont incapables de se procurer leur nourriture par eux-mêmes ? C'est Dieu qui pourvoit à leur subsistance, et à la vôtre"' 29,60

Ne jugez point. Pourquoi vois-tu la paille dans l'œil de ton frère et ne vois-tu pas la poutre qui est dans le tien ?

"Ne vous tournez pas les uns les autres en ridicule. Ceux que l'on raille valent peut-être mieux que les railleurs" 49,11

Demandez et on vous le donnera

"Dis-leur que Je suis tout proche d'eux et prêt à exaucer la prière de celui qui m'invoque quand il m'invoque " 2,186

"Votre Seigneur a dit : 'Invoquez-moi, je répondrai à votre appel et vous exaucerai'" 40,60

Ne donnez pas les choses saintes aux chiens

"Ne livrez pas aux incapables les biens que Dieu vous a accordés" 4,5

Faites aux hommes ce que vous voulez qu'ils vous fassent

"Croyants, réservez pour vos aumônes le meilleur de ce que vous possédez... Ne choisissez pas ce qui est vil ou défectueux pour en faire un acte de charité. Ne donnez pas ce que vous-même n 'accepteriez pour vous qu enfermant les yeux" 2,267

"Donnez une part de l'héritage à vos proches, aux orphelins et aux pauvres qui assistent au partage tout en leur adressant de douces paroles. Vous qui craignez de laisser un jour derrière vous une postérité démunie et qui vous inquiétez à leur propos, tournez-vous vers Dieu avec crainte et prononcez des paroles sensées " 4,8-9

Entrez par la porte étroite

"Mais celui-là n'a pas encore gravi la voie ascendante. Mais sais-tu ce qu 'est la voie ascendante ?" 90,11

Gardez-vous des faux prophètes ; ils viennent à vous en vêtements de brebis, mais au-dedans, ce sont des loups ravisseurs

"Parmi les hommes, il en est dont les discours peuvent te séduire et qui prennent Dieu à témoin de leurs bons sentiments, alors qu 'ils sont les ennemis acharnés de Dieu. Dès qu'ils te tournent le dos, on les voit s'appliquer à semer le désordre et la corruption sur la terre, n 'épargnant ni hommes ni récoltes. Or, Dieu a condamné la corruption. Et lorsqu'on dit à celui-là: Crains Dieu, il devient plus arrogant encore et plus endurci au péché" 2,204-6

 

 
Au cours de cette énumération, nous avons omis deux articles du Nouveau Testament qui semblent contredire la Loi de Moïse sur le divorce et le talion.
À une liberté sans frein qui semble avoir été accordée à l'époux de répudier sa femme quand il trouve en elle quelque chose de « honteux », ou quand il éprouve de l'aversion pour elle, l'Évangile paraît opposer l'indissolubilité des liens du mariage, sauf pour cause d'infidélité. De même, en opposition à l'exigence implacable du sang du meurtrier et de la réparation de toute offense subie par une offense égale, Jésus enseigne de ne pas s'acharner contre le méchant et de lui pardonner.
 

 

À ne considérer que la lettre de ces formules, le christianisme aurait donc aboli des lois qu'il reconnaît avoir été établies auparavant. Mais à regarder les choses de plus près, on voit que ce ne sont là que deux aspects, ou deux degrés d'une loi éternelle, dont l'un s'appelle justice et l'autre charité. Deux limites entre lesquelles la morale oscille mais ne doit jamais sortir de leur alternative. Elle ne peut raisonnablement se borner à l'une d'elles en excluant définitivement l'autre. La justice assigne à celui qui veut user de son droit des conditions humaines qu'il ne doit pas dépasser. Mais à celui qui veut s'abstenir généreusement de son dû, elle n'aurait rien à reprocher. La charité nous invite à faire ce don généreux sans pour cela aller jusqu'à protéger les crimes ou encourager les vices. Omettre ce geste bienveillant quand on peut le faire serait manquer de tact moral. Mais le faire au détriment des autres vertus essentielles serait commettre un contresens. On peut donc insister suivant les cas sur l'un ou l'autre côté de cette alternative comme on traite différemment une maladie selon son degré de gravité et l'état de l'organisme du sujet : soit par des mesures normales et moyennes, soit avec plus ou moins de délicatesse et de circonspection, soit par la manière forte.
 

 

Ainsi, à notre avis, ou bien les deux formules de l'Ancien et du Nouveau Testament doivent se comprendre et se reconnaître dans leur alternance, ou bien il faut avouer qu'elles ne sauraient régir, chacune séparément, qu'un groupe restreint de l'humanité ou une période limitée de l'histoire. Or tout en nous proposant comme modèle l'idéal de nos premiers ancêtres, l'Evangile semble admettre, croyons-nous, la dure réalité pour ceux qui ne parviennent pas à résoudre les choses autrement (Matthieu 17,8). De son côté, la Torah qui réclame le plus souvent vie pour vie et blessure pour blessure, nous convie parfois à nous contenter de reprendre l'offenseur et à ne point nous venger de notre prochain (Lévit. 19,17-8).
 

 

La vraie formule morale sera celle dont les deux Livres saints ont retenu chacun une partie en laissant l'autre plus ou moins sous-entendue. Cette formule intégrale, le Coran s'est chargé de la donner de façon explicite, sans oublier cependant d'en marquer les deux éléments par leur valeur respective. « Si vous devez châtier, que la punition ne dépasse pas l'offense. Mais ceux qui souffrent avec patience accomplissent une action bien plus méritoire. Sois donc endurant ; Dieu t'aidera dans ta constance » (16,126)4. Voilà pour ce qui regarde le talion et le pardon.
 

 

Quant au divorce, il faut lire le Coran (4,19, 35, 128) pour se rendre compte des barrières que l'on doit franchir avant de songer à la rupture de cette union sacrée. Il faut le lire ailleurs encore (2,228-30 ; 65,1-2) pour savoir après combien d'essais de réconciliation cette rupture peut être définitive. Mais après tout cela, celui qui reviendrait sur une décision de séparation accomplirait ce faisant une action capable de lui procurer la miséricorde divine (2,226). Le divorce ne saurait être considéré en Islam comme un acte indifférent. Le Prophète l'a affirmé : (أبغض الحلال إلى الله الطلاق)

 

« Parmi les choses tolérées, l'acte le plus détestable aux yeux de Dieu est la rupture d'un mariage5. »

 


Ainsi le Coran explique les Prophètes et les justifie en réunissant et en synthétisant leurs œuvres. Nous croyons trouver dans cette unité du divers et dans cette manière d'admettre au sein de la loi morale des degrés plus ou moins méritoires, l'un des facteurs très importants par lesquels la doctrine islamique a pu s'étendre sur une partie considérable de l'humanité, en abritant sous une même orthodoxie des pensées, des tendances et des caractères si divers que ni un rigorisme abstrait et intransigeant ni une tolérance excessivement inerte n'eussent pu satisfaire.
 

 

En indiquant cette méthode conciliatrice du Coran, nous avons entamé en même temps la matière qui fait l'objet de son enseignement. Il est remarquable pour un ouvrage moral d'avoir non seulement rassemblé la sagesse des anciens, mais aussi d'avoir présenté sous le même jour et comme convergeant vers le même but des leçons éloignées les unes des autres dans le temps, et même parfois très opposées dans leurs énoncés.
 
Si le premier but du Coran est de sauvegarder et de consolider le patrimoine moral légué par" les révélations antérieures, il a une autre mission dont il doit encore s'acquitter. C'est, comme le dit le Prophète, de compléter, de parachever, de couronner l'édifice divin que les Prophètes avaient petit à petit élevé avant lui :

 

 )6مثلي ومثل الأنبياء كرجل بنى بيتا ) « Les Prophètes qui m'ont précédé et moi-même sommes comparables à ceci : Un homme ayant construit une demeure, l'avait rendue en tous points admirable. Mais restait vide l'emplacement de la dernière pierre. Les gens intrigués, tournaient autour de la maison et se deman­daient pourquoi cette dernière pierre n'avait pas été placée. Je suis cette pierre je suis le dernier des Prophètes7. »

 

 

Qu'y a-t-il de neuf et de progressif dans l'enseignement du Coran ? C'est ce que nous allons tenter de faire entrevoir à travers quelques remarques qui s'imposent à l'esprit :

 


1) Vertus personnelles

 

Sur le plan de la morale individuelle, nous trouvons au moins un précepte et un principe nouveaux dans le Coran. Le précepte, c'est l'abolition de l'alcoolisme et le tarissement de sa source par la suppression de tout usage d'une boisson enivrante (5,90-1).

 

Quant au principe que nous voulons souligner ici, c'est celui qui regarde l'intention morale. Pour exhorter son peuple, Moïse faisait miroiter à ses yeux la perspective de la terre promise, la victoire sur ses ennemis, la bénédiction et l'abondance dans tous les domaines de la vie d'ici-bas. La venue du Christ marque une ère nouvelle dans la prédication. Pour l'Évangile en effet le bonheur promis n'est presque plus dans le monde présent. Le regard de l'âme doit désormais se détourner de la vie terrestre pour s'élever vers le ciel. Le Coran arrive à son tour et démontre que ces deux promesses ne suffisent pas à constituer le mobile de nos actions. Le but que doit se proposer l'homme vertueux n'est ni dans le royaume du ciel ni dans celui du monde présent. Il est placé on ne peut plus haut : dans le Bien absolu. C'est Dieu lui-même qu'on doit avoir en vue en accomplissant sa volonté (entre autres 2,272 ; 92,20).

 

2) Vertus interindividuelles
 

 

Voici encore un nouveau progrès. Il touche la règle morale qui détermine nos rapports avec nos semblables. Les préceptes du Pentateuque et ceux de l'Évangile font déjà apparaître l'arbre de la vertu avec ses feuilles et ses branches. Sur le terrain coranique, cet arbre toujours verdoyant va fleurir et porter ses fruits. À leur trésor de justice et de charité que le Livre de l'Islam a jalousement conservé, celui-ci va ajouter un excellent chapitre sur ce qu'on peut appeler la civilisation éthique. Il s'agit d'un véritable code de politesse (4,86; 24,27,28,58,59,61,62; 49,2-5; 58,8-11), de discrétion (49,12), de bienséance (24,31,60 ; 33,32,33,53,59).
 

 

3 et 4) Vertus collectives et vertus universelles
 

 

Un point saillant de la loi morale judaïque, c'est cette cloison qu'elle élève entre Israël et non-Israël. La bienfaisance qu'un Israélite doit pratiquer, si elle n'est pas bornée à son peuple, ne dépasse point son pays. « Tu pourras tirer un intérêt de l'étranger, mais tu n'en tireras point de ton frère » (Deutér. 22,20). « Tu pourras presser l'étranger, mais tu te relâcheras de ton droit pour ce qui t'appartient chez ton frère » (Deutér. 15,3). « Tu ne lui imposeras point le travail d'un esclave » (Lévit. 25,39). « Tu ne le domineras point avec dureté... C'est des nations qui vous entourent que tu prendras ton esclave. Vous pouvez aussi en acheter parmi l'étranger qui demeure chez vous » (Lévit. 43,5).
 

 

La morale chrétienne a le grand mérite de faire tomber cette barrière qui séparait un homme d'un autre homme : « Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? Si vous saluez seulement vos frères, que faites-vous d'extraordinaire ? » (Sermon 46,7). Mais, en revanche, on n'aperçoit pas ici cette cohésion sociale, ce sentiment de responsabilité collective que nous révèlent des textes hébraïques tels que : « Tu inculqueras ces lois à tes enfants » (Deutér. 6,7). « Tu ôteras ainsi le mal du milieu de toi » (Deutér. 13,5). « Vous observerez toutes mes lois... afin que le pays ne vous vomisse point » (Lévit. 20,22). La vertu sociale chrétienne telle que les Évangiles nous la présentent est d'ordre interindividuel plutôt que proprement collectif. Dans le passé, l'esprit « de famille » servait pour ainsi dire à un double usage : pour soi et contre autrui. En s'étendant en dehors de sa frontière et en voulant embrasser toute l'humanité, l'amour chrétien a bien fait d'effacer cet aspect exclusiviste et de le remplacer par une fraternité universelle, mais il n'a peut-être pas suffisamment insisté pour consolider plus particulièrement le lien sacré de la communauté.

 

Ne pourrait-on pas, tout en observant pratiquement et cordialement une bienfaisance mondiale, créer, au milieu de cette grande famille humaine, une famille plus restreinte, plus cohérente, plus consciente d'elle-même, comme un ensemble de cellules formant un seul et même organe dans ce grand corps ?

Cet heureux mariage entre la vertu universelle et la vertu collective, le Coran l'a solennellement conclu. Il nous enseigne en effet qu'en dehors de la fraternité dans la foi, il y a la fraternité dans Adam (49,10,13), que la diversité des sentiments religieux ne saurait nullement nous empêcher d'être charitables et bienfaiteurs envers les autres (60,8) ; que la méchanceté des infidèles à notre égard ne doit ni déterminer chez nous une attitude agressive ni nous empêcher d'être justes à leur égard (5,2,8). Il est interdit aux musulmans de prêter avec intérêt à qui que ce soit (2,275). Ce qui est pieux et juste au sein de la communauté l'est également en dehors d'elle (3,75-6). Si dans certains cas le musulman doit s'appliquer plus particulièrement à délivrer ses frères en captivité (4,92), dans d'autres cas, la mise en liberté de l'esclave en général constitue pour lui soit une obligation (5,89), soit une action méritoire que le Coran ne cesse d'exalter (2,177 ; 90,13). Ainsi, l'idée d'une vertu universelle lancée par l'Evangile se développe et se précise davantage en s'étendant aux divers domaines de la vie. Est-ce à dire que la communauté musulmane doive relâcher ses liens internes pour se dissoudre dans l'océan de l'humanité ? Deux commandements principaux vont au contraire lui rappeler avec force son caractère de collectivité distincte et plus organique.

 


Le premier est celui qui engage vivement les croyants à se montrer comme une communauté indivisible, sans schisme ni dissension, autour de leur idéal et derrière leur chef (3,103 ; 4,59 ; 8,46)

 

Certains orientalistes se sont plu, cependant, à dépeindre le musulman comme un « individualiste incoercible » n'ayant jamais connu « le lien de la solidarité »8. « La religion musulmane respecte et consacre l'individualisme. Elle ne connaît point la communion des âmes comme un grand ensemble. Les actes en commun, la cérémonie de 'Arafat, les prières des fêtes sont des actes individuels accomplis par les fidèles au même moment et dans le même lieu, mais ne sont point des cérémonies d'ensemble, dirigées, ordonnées, harmonieuses9. »
 

 

Pourtant il suffit à quiconque d'assister à une prière musulmane commune pour se rendre compte que rien n'est plus inexact. Il verra les fidèles non point éparpillés en désordre, chacun priant pour soi ou assistant en spectateur pendant que leur guide s'acquitte seul de l'essentiel de la tâche religieuse, mais au contraire bien rangés en un ordre parfait, serrés au coude à coude, le riche côtoyant le pauvre, le chef coudoyant son administré, tous observant une même position, une même direction, prononçant les mêmes paroles, chacun priant pour tous : إياك نعبد و إياك نستعين « [Seigneur] c'est Toi que nous adorons, c'est à Toi que nous demandons assistance ; dirige-nous sur le droit chemin... » (1,5-6), et tous souhaitant le salut non seulement pour leur assemblée présente, mais pour tous les croyants serviteurs de Dieu en quelque lieu qu'ils se trouvent... ( السلام علينا و على عباد الله الصالحين )... Cette harmonie extérieure n'étant sans doute qu'un moyen d'obtenir la communion intime des cœurs.

 

L'islam est une religion, mais aussi une fraternité (49,1). Le hadîth assimile la solidarité des croyants à celle du corps humain, où toutes les parties se ressentent de la douleur d'un seul organe et coopèrent à sa défense. Les deux devoirs essentiels que les musulmans appellent « devoirs jumeaux » et auxquels le manquement détermine la répression, sont la prière et la dîme. N'y a-t-il pas là un éloquent témoignage de l'esprit solidaire en islam ?

 

Le second aspect, qui est d'une grande importance morale, c'est l'obligation pour tous de ne pas laisser le mal triompher parmi eux (8,25). C'est la nécessité de se recommander mutuellement la vérité et la vertu (103,3 ; 90,17). Ce n'est pas seulement un droit mais un devoir pour tout musulman grand ou petit, de rappeler à ses coreligionnaires ce qui est droit et juste, et de leur déconseiller tout comportement incorrect. Pas plus que leur bonheur matériel, le salut de nos frères ne saurait nous laisser indifférent. Tous ensemble, nous devons collaborer à faire régner parmi nous la vertu et la piété (5,2). La valeur que le Coran accorde à la pratique de cette solidarité morale est telle qu'il en fait le critère de la nation qui pourrait être la meilleure qui ait jamais existé sur terre (3,110).

 

5) Vertus internationales et interconfessionnelles

 

II est un autre chapitre tout à fait nouveau dans la morale islamique. Ni le judaïsme ni le christianisme du temps de leurs fondateurs n'avaient eu l'occasion d'entretenir des relations avec des États étrangers ou adverses. À la prédication pacifique et locale de Jésus s'oppose, comme une antithèse, la lutte menée par Moïse contre des nations voisines vite exterminées. Il en fut autrement pour Mohammad qui demeura pendant une dizaine d'années, en rapport constant avec des nations et des confessions étrangères, tantôt hostiles tantôt pacifiques.

 

Ces circonstances particulières qui ont fait du guide spirituel et moral un diplomate et un commandant ont nécessité une législation sur les conditions de paix et de guerre, législation dont nous trouvons aussi les principes fondamentaux dans le Coran. Entre autres, celui qui définit la guerre légitime comme la guerre défensive (2,90) qui doit cesser dès que cesse l'agression de l'ennemi (4,90 ; 8,61). Ou encore celui qui consacre les engagements pris, quelle que soit l'inégalité des avantages qu'ils déterminent. Un traité conclu doit être loyalement et pieusement respecté, fût-il manifestement désavantageux pour nous (16,91-2). Même si l'adversaire commence à trahir le pacte commun, nous n'aurons pas le droit de l'attaquer perfidement, sans préavis ; il faut d'abord dénoncer clairement notre entente afin qu'il en soit clairement informé au même titre que nous-mêmes (8,58)10. Sans parler des règles établies par les hadîths et qui ont réussi sinon à éliminer ce fléau de l'humanité, du moins à en atténuer considérablement les conséquences fâcheuses. 

 

1. Infime minorité de commentateurs oraux dont l'historicité est d'ailleurs douteuse, ainsi que le sens précis de leur doctrine (Râzi,  Tafiir, t. I, p. 407). À l'origine, le terme arga'a, emprunté au Coran (9,106), veut dire ne pas préjuger de la destinée future des hommes et s'en remettre à la décision de Dieu. Ce qui n'empêche pas de se juger soi-même et de juger les autres selon leur conduite. De là à dire que tout dépend de la foi et que rien ne saurait nous nuire grâce à elle, il y a loin. Car ce serait non seulement en préjuger d'une autre façon, mais prêcher contre toute loi morale et toute loi sociale. Or, nous savons que tout en s'abstenant de juger les controverses religieuses et les conflits politiques, certains Mourdji'ites s'élevèrent contre l'injustice d'Al-Hadjâj (Ibn-Sa'd, t. VI, p. 205). On sait d'autre part qu'un homme comme Ibn-Sirîne, réputé pour son abstention la plus indulgente à l'égard des croyants, était très sévère sur sa propre conduite (Naouâoui, Tahdhîb, p. 108).


2. Consulter pour cela l'Appendice de notre ouvrage La Morale du Coran.

3. Voir notre Morale du Coran, chap. III, A

4. Voyez encore Coran 3,186 ; 42,40-3.

5. Abou-Daoud, K. Talâq, B.3.

6. Ibn-Sa'd et Hakîm cités par Siouti, Djâmï.

7. Boukhâri, Sahîh, K. Manaqib, B.18.

8. Gautier, Coutumes et Mœurs des Musulmans, p. 216.

9. Gaudefroy-Demombynes, L'Islam, in Histoire et Historiens, p. 739.

10. Goldzieher a commis ici un contresens en traduisant ce verset ainsi : « Si tu redoutes une trahison de la part d'un peuple, renvoie-lui la pareille » (Dogme et Loi, p. 23). Même erreur chez Kazimirski : « ... rends-lui la pareille », et chez Savary : « traite-les comme ils agissent ». Il suffit de lire la suite du verset pour se rendre compte de l'incompatibilité de cette interprétation avec le texte qui dit : « Si tu crains réellement une trahison de la part d'un peuple, dénonce clairement le traité qui vous lie pour être à égalité. Dieu n'aime point les félons".

Partager
 

A LIRE EN LIGNE !